Qu'est-ce qu'une médaille dit de la réussite professionnelle future ?
Quiconque gagne une médaille comme adolescent(e) lors des Olympiades internationales montre un talent incontesté. Mais qu'est-ce que ça signifie? Que cette personne deviendra un ou une scientifique à succès? Oui et non, disent deux chercheurs.
Délégation suisse à l'IMO 2019 à Bath avec Patrick Gaulé, co-auteur de l'étude "Invisible Geniuses: Could the Knowledge Frontier Advance Faster?" (Photo par Louis Hainaut)
Parfois, il y a des coïncidences intéressantes. Comme cet été, lorsque le valaisan Patrick Gaulé rencontre la délégation suisse aux Olympiades internationales de mathématiques (IMO). Gaulé est Senior Lecturer à l'Université de Bath en Angleterre. L'année dernière, il a rédigé une étude à propos des Olympiades de mathématiques, de leurs participant(e)s, de leurs connaissances générées et du potentiel perdu.
Combien de savoirs les anciens participant(e)s des Olympiades génèrent-ils ?
L'étude s'intitule "Invisible Geniuses : Could the Knowledge Frontier Advance Faster ?" et est disponible gratuitement sous forme de document de travail du Fonds monétaire international (FMI). Dans la première partie de l'étude, Gaulé et son collègue Agarwal ont étudié la productivité académique des 4 710 participants aux IMO 1981-2000. Les chercheurs ont examiné, par exemple, combien de publications scientifiques les anciens participant(e)s des IMO ont écrites et à quelle fréquence ils ont été cités. Ils ont aussi cherché à savoir qui a fait un doctorat, qui a étudié dans les meilleures universités ou qui a même reçu une médaille Fields. Gaulé et Agarwal résument ainsi leurs résultats :
"… we document that individuals who demonstrate exceptional talent in their teenage years have an irreplaceable ability to create new ideas over their lifetime, suggesting that talent is a central ingredient in the production of knowledge."
Rendement académique des médaillé(e)s des IMO par rapport à celui des diplômé(e)s des 10 meilleures universités de mathématiques et de tous les doctorant(e)s du monde entier (graphique de "Invisible Geniuses: Could the Knowledge Frontier Advance Faster?")
Dans quelle mesure le monde est-il juste ?
Les résultats suggèrent que nos ancien(ne)s participant(e)s peuvent envisager une carrière passionnante et productive, non seulement en mathématiques, mais probablement aussi dans toutes les autres disciplines olympiques.
Mais Gaulé, Agarwal et le FMI se sont intéressés à un autre aspect. Ils voulaient voir si, au niveau mondial et dans tous les pays, les participant(e)s des IMO avaient autant de succès sur le plan académique. Malheureusement, les inégalités mondiales sont clairement évidentes dans ce contexte: plus le revenu moyen d'un pays est faible, moins ses jeunes talents peuvent produire de savoir. Par rapport à leurs collègues des pays riches, leur potentiel est moins encouragé et moins utilisé. Pour reprendre les mots de Gaulé et Agarwal :
"… such talented individuals born in low- or middle-income countries are systematically less likely to become knowledge producers. Our findings suggest that policies to encourage exceptionally-talented youth to pursue scientific careers–especially those from lower income countries–could accelerate the advancement of the knowledge frontier."
Proportion de médaillé(e)s des IMO titulaires d'un doctorat en fonction du revenu de leur pays d'origine (graphique tiré de "Invisible Geniuses: Could the Knowledge Frontier Advance Faster?")
Dans le monde entier, de nombreuses personnes talentueuses ne peuvent développer leur potentiel en raison de leur origine, du statut socio-économique de leurs parents - mais aussi de leur sexe. Beaucoup de connaissances et beaucoup d'innovations sont ainsi perdues pour l'humanité.
De plus amples informations ainsi que l’ensemble des données et graphiques sont disponibles dans l'étude "Invisible Geniuses: Could the Knowledge Frontier Advance Faster?" et peuvent être téléchargés gratuitement sous forme de document de travail du FMI.
Marco Gerber a résumé l'étude dans cet article. Il est co-directeur des Olympiades de la science. Patrick Gaulé est un microéconomiste appliqué. Il s'est spécialisé dans l'économie des sciences et de l'innovation. Il est titulaire d'un doctorat de l'EPFL et travaille actuellement à l'université de Bath comme professeur associé.