17.03.2020

Egalité des chances

«Ayez du courage!»

La vie nous met à défi: quoi étudier? Comment gérer les échecs? Comment réagir face au sexisme? Le conseil de la rectrice de l’EPF Sarah Springman: ayez du courage, misez sur l’humour et prenez vos responsabilités.

Sarah Springman en pleine conversation avec Ivana, étudiante en informatique à l’EPF et bénévole aux olympiades d’informatique.

Olympiades de la Science: Madame Springman, bon nombre de participant-es aux Olympiades de la Science sont appelé-es à choisir leur voie d’études. Vous avez étudié l’ingénierie avec une spécialisation dans la construction. Quels ont été les critères déterminants dans votre choix?

Sarah Springman: J’ai choisi cette branche parce que le thème de la construction me fascinait. Enfant, j’étais déjà très curieuse et voulais savoir comment les choses fonctionnaient. Quels sont les mécanismes dans la construction? Comment fonctionnent les structures comme les matériaux? J’avais très soif d’expériences: à 12 ans, je construisais des cabanes dans les arbres et jouais avec des montagnes de sable. Je me souviens avoir construit des barrages dans des ruisseaux sur la plage en Irlande. J’essayais différentes techniques – naturellement, en fin de compte, c’était toujours les ruisseaux qui prenaient le dessus (rires).

 

Comment vous est venu cet intérêt? Quel rôle ont joué votre famille et l’école?

Je suis la seule de la famille à m’être intéressée aux sciences. A part peut-être mon grand-père, que je n’ai jamais connu, car il a disparu durant la Seconde Guerre mondiale. Il était avocat et adorait les mathématiques, comme mon père me l’a raconté. Ma famille m’a toujours soutenue, elle a cherché dans son cercle d’amis des personnes pouvant répondre à mes questions lorsque j’en avais.

 

 

L’école m’a beaucoup marquée. J’ai fréquenté un internat pour jeunes filles. Il y avait de nombreuses jeunes femmes du même âge qui étaient très intelligentes et aussi excellentes en mathématiques. Le cadre d’apprentissage était stimulant et positif. J’y ai beaucoup appris, aussi grâce au corps enseignant principalement féminin. Il y avait de fortes personnalités qui étaient très douées didactiquement. Elles ont été mes modèles. J’ai eu beaucoup de chance que mes parents aient investi dans ce type de formation.

 

 

"C’est grâce à mon courage que je suis aujourd’hui rectrice."

 

 

Que conseillez-vous à une gymnasienne ou à un gymnasien souhaitant faire des études à l’EPF, mais qui douterait de ses capacités à réussir dans la branche?

Comme je le dis toujours: quiconque a un certain talent, se fixe des objectifs et travaille dur peut réussir. Mais je trouve qu’il est encore plus important que la personne soit curieuse et ait de la passion pour le thème. Car les études, peu importe l’université, demandent du temps et de l’énergie. Je crois que, la première année, c’est un peu une question de survie.

 

Le facteur talent n’est pas non plus à sous-estimer. Mais je m’étonne toujours de ce que l’on peut atteindre lorsque l’on se fixe des objectifs clairs et qu’on les poursuit avec conviction. Et celles et ceux qui participent aux Olympiades de la Science bénéficient de bonnes conditions pour l’EPF. Parfois, je me demande où ces jeunes gens ont déjà acquis tant de connaissances et leur esprit de synthèse.

 

 

"Je me suis lancé certains défis – et j’ai échoué. J’ai été déçue, mais j’ai aussi beaucoup appris."

 

 

En tant que scientifique, on a la possibilité de vivre dans différents pays. Vous avez étudié et été promue en Angleterre, en Australie et sur les îles Fiji. Qu’est-ce qui vous a amenée en Suisse en 1997? Et quels ont été les défis auxquels vous avez été confrontée? 

Mon travail sur les îles Fiji était passionnant. Nous avions la tâche de construire des barrages en terre. Ensuite, je suis retournée à Cambridge et j’ai commencé un master de philosophie basé sur la recherche. Au début, je me demandais si j’étais faite pour la recherche. Mais j’ai très vite remarqué que je l’étais. C’est ainsi que ma carrière académique a commencé. J’ai été promue assistante, puis chargée de cours. Lorsque j’ai fêté mes 12 ans de carrière à Cambridge, j’ai reçu une lettre d’un professeur de l’EPF. Il me demandait si je voulais me présenter pour un poste de professeure en géotechnique. Ma première pensée a été que j’étais trop jeune pour ça. J’ai fini par mettre mes doutes de côté et je me suis présentée.  

 

Fraîchement arrivée en Suisse, j’ai été surtout confrontée à la langue et à la différence de culture. Une lady britannique en Suisse dans les année 1990 n’était pas courant: j’étais la première professeure en génie du bâtiment en Suisse, la culture était très masculine tant sur le plan académique que sociétal. Cela faisait à peine six ans que le dernier canton avait accordé le droit de vote aux femmes, et on le sentait. Et si j’avais été mariée, c’est mon mari qui aurait obtenu l’autorisation de séjour et non pas moi en tant que professeure.

 

J’ai essayé de créer une situation de donnant-donnant, car je savais ce que j’avais à offrir à l’EPF. La haute école a accepté mon offre et était prête à me soutenir. J’ai commencé par prendre des cours intensifs en allemand. Mon premier séminaire a été une expérience douloureuse, linguistiquement parlant – pour moi comme pour les étudiant-es (rires). Au bout de neuf mois, j’ai donné mon premier séminaire en allemand. Ça n’a pas été une prestation brillante, mais ça a fonctionné. C’est aussi la raison pour laquelle je suis rectrice aujourd’hui: je suis courageuse.

 

 

En tant que triathlète, scientifique et rectrice, vous avez atteint beaucoup d’objectifs. Avez-vous eu des moments dans votre carrière où vous avez pensé: «Ouah, là je suis fière de moi!»?

 

«Fière» est mot que j’utilise très rarement. Je suis fière de mes doctorant-es, mais suis-je fière de moi? Ça n’est pas très suisse... et je suis sur la bonne voie pour devenir Suissesse. J’ai déjà atteint les 90% (sourires).

 

Ma confiance en moi a peut-être aussi un lien avec mon enfance: j’étais la plus âgée de quatre enfants et la seule fille. Mes frères ont reçu plus d’attention, car ils étaient en majorité. J’ai alors appris à dire: «hé, je suis là moi aussi et j’ai aussi quelque chose à apporter». C’était important, je crois. Cette situation m’a motivée au début et peut-être aussi incitée à avoir du succès plus tard dans les sciences et dans le sport. Lorsque les choses allaient très bien en triathlon, je pouvais me détendre un peu. Je suis restée invaincue pendant cinq ans en Grande-Bretagne. Le stress avant la compétition était très gros et je ne dormais plus très bien. Après avoir perdu la première course, j’ai été soulagée. La pression avait disparu. Je me suis ensuite concentrée sur ma thèse et je me suis dit: je fais de mon mieux en sport, si ça ne suffit plus pour gagner, tant pis.

 

 

"Je suis fière de mes doctorant-es, mais suis-je fière de moi? Ça n’est pas très suisse. Et je suis en bonne voie pour devenir Suissesse." (rires)

 

 

Lorsque l’on a des attentes élevées, on doit également savoir gérer les échecs. Comment trouvez-vous la motivation après des situations qui ne se sont pas déroulées comme souhaité?

Je me suis lancé quelques défis, et j’ai échoué. J’ai été déçue. D’un autre côté, cela m’a permis de réfléchir sur la situation: pourquoi ai-je échoué? Ces réflexions m’ont aidée des années plus tard.

 

Un exemple: en 2007, j’ai été invitée à me présenter à la présidence de l’EPF. Ce n’était pas mon idée, je pensais alors qu’il y avait trop d’éléments qui joueraient en ma défaveur: je suis étrangère, une femme et une ingénieure en construction. On m’y a tout de même encouragée. En tant qu’athlète, je me suis lancée dans la course, je me suis mise dans les starting blocks et me suis laissée convaincre. Lorsque l’on m’a dit que je figurais parmi les trois meilleur-es candidat-es, j’étais surprise et choquée. Mais, pour diverses raisons – notamment politiques – je n’ai finalement pas obtenu le poste. Plus tard, j’ai été reconnaissante de cette expérience. Elle m’a beaucoup aidée pour préparer ma candidature et obtenir ma nomination en tant que rectrice de mon département.

 

 

 

"Je trouve important de réagir face aux situations sexistes: on doit s’engager pour soi et pour d’autres femmes."

 

 

Changeons de sujet: des comportements sexistes sont également observés dans le monde scientifique. Un exemple: lors des olympiades européennes féminines de mathématiques en 2018, un chef d’équipe a critiqué le fait que la leader suisse soit féminine. Comment auriez-vous réagi dans cette situation?

J’ai deux réponses pour vous. Elles dépendent de la situation pour laquelle on doit développer une certaine sensibilité: quelle est la composition du groupe? Les autres personnes partagent-elles son avis? Ou peut-on inverser la situation grâce à l’humour? On peut par exemple chercher des alliés et dire: «Hé, qu’est-ce que tu penses de ce type? Ne penses-tu pas qu’on devrait lui apprendre quelque chose à lui aussi?» La provocation ou l’humour peuvent bien fonctionner, à condition de réagir rapidement et spontanément, ce qui n’est pas simple. L’humour est important de sorte que la personne visée ne perde pas entièrement la face et puisse tout de même apprendre quelque chose.

 

La deuxième tactique est de ne pas réagir directement devant le groupe, mais de chercher le dialogue avec la personne plus tard. Un exemple: un collègue, beaucoup plus âgé que moi, a souvent commencé ses présentations avec des remarques sexistes sur les femmes. Cela m’a mise très en colère. J’étais assistante et je pensais que cela n’apporterait pas grand-chose si je l’interpelais publiquement au sujet de son sexisme. Je l’ai abordé plus tard et je lui ai demandé: «As-tu une idée de ce que tu es en train de faire? Pour des jeunes femmes comme moi, ces remarques font mal.» J’ai essayé de lui expliquer que je voyais les sciences de l’ingénierie comme un lieu où tout le monde doit se sentir bienvenu et non pas comme un lieu pour celles et ceux qui aiment entendre des dirty old mens stories. A partir de ce moment, il a renoncé à faire de telles remarques, du moins lorsque j’étais présente. Ma réaction a donc eu de l’effet.

 

Le sujet n’est pas simple. Mais, avec le temps, on apprend comme gérer. On peut aussi tester différentes stratégies. Une question pour vous: comment avez-vous réagi dans cette situation?

 

 

Je ne savais pas quoi faire et, pour être honnête, j’ai essayé d’oublier...

C’est compréhensible, mais cela va se reproduire encore et encore. Dans ce genre de situations, on doit apprendre à assumer ses responsabilités et à s’engager pour soi et pour d’autres femmes. Peut-être que les membres du groupe étaient toutes solides et que chacune a pu gérer la situation toute seule. Mais que faire lorsqu’une personne n’arrive pas à gérer et que de telles remarques deviennent oppressantes et entraînent chez certaines femmes un stress mental?

Oui, c’est une très bonne remarque. Merci d’avoir partagé vos expériences avec nous.

 

Interview: Ivana Klasovita, étudiante en informatique à l’EPF Zurich. Ivana est passionnée de sciences, en particulier de mathématiques et d’algorithmes. Pendant le gymnase, elle a participé aux olympiades de la Science (mathématiques, informatique, physique). Depuis qu’elle a commencé ses études, elle s’engage en tant que bénévole pour les olympiades d’informatique. Ivana aime enseigner. Elle est assistante à l’EPF et s’engage auprès de la Junior Euler Society (JES).

 

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